Cette semaine, Dominique Tardif rencontre Me Bruno Duguay. Il lui parle de sa carrière, des défis de son entreprise Novacap et de son parcours original.
Me Bruno Duguay est vice-président Affaires Juridiques du groupe Novacap.
Pourquoi avez-vous, à l’origine, décidé d’être avocat plutôt que de choisir un autre métier ou une autre profession? Est-ce le fruit de longues réflexions, un hasard ou plutôt un accident de parcours ?
J’avais un intérêt général pour les sciences humaines, de la politique et la sociologie à l’économie et l’histoire, incluant la philosophie et l’art. J’avais donc des goûts assez éclectiques et divers. Le droit touche justement à un grand faisceau de ces disciplines, et allie la rigueur à la flexibilité de certaines sciences humaines.
Je ne suis pas de ceux qui proviennent d’une famille de juristes, et je me suis en fait retrouvé en droit un peu par hasard. Ma copine faisait son droit à l’époque et, après avoir un peu “regardé ce qu’elle faisait par-dessus son épaule”, j’ai décidé de me lancer.
Et ce, directement, en sortant de cégep?
Non, plutôt après une formation de comédien à St-Hyacinthe ! Comme un ami m’avait demandé de donner la réplique, j’ai décidé de passer l’audition moi aussi ! Cela dit, il y a une “différence entre aimer les animaux et être vétérinaire”: j’ai rapidement réalisé qu’être acteur n’était pas ce que je voulais faire de ma vie. Cela dit, c’est un petit détour que je ne regrette pas!
Où avez-vous vécu votre plus grand défi professionnel : chez Stikeman, à la Caisse de dépôt et placement du Québec ou chez Novacap ?
Chez Novacap, le défi était de bâtir un contentieux alors que l’entreprise était en pleine expansion. Mes expériences acquises chez Stikeman en litige, puis à la Caisse en transactionnel m’ont été bien utiles.
Il a fallu inculquer certaines règles de gouvernance et une certaine structure à l’entreprise, en même temps que de gagner la confiance des gens d’affaires. Ce qui a impliqué de trouver l’équilibre entre la rigueur et la flexibilité qui est nécessaire aux affaires, puisque notre travail est fondamentalement un travail de gestion de risques. Il faut donc savoir jouer sur plusieurs niveaux, c’est-à-dire non seulement comme avocat, mais aussi comme gestionnaire et personne d’affaires.
C’est certainement le défi le plus intéressant que j’ai eu à relever à ce jour – un défi qui continue d’ailleurs quotidiennement.
Si vous pouviez changer quelque chose à la pratique du droit, de quoi s’agirait-il (autre que la réduction des frais juridiques externes) ?
Je souhaiterais que les jeunes avocats puissent avoir la chance d’acquérir des expériences plus variées. Je crois qu’il faut prendre garde à la spécialisation trop rapide, particulièrement dans les grands cabinets. J’ai moi-même fait du litige et des transactions, et cela me sert beaucoup. Le fait d’avoir été à la cour et d’avoir vu comment se prépare un litige, de la collecte des informations jusqu’au procès, va toujours me servir.
De la même façon, je crois que les avocats de litige auraient avantage à voir comment se négocie et se bâtit une transaction, ainsi qu’à connaître les impératifs des gens d’affaires. Maintenant que je connais le droit des affaires, je sais que, si je retournais à la pratique du litige, les choses seraient différentes : “j’appuierais certainement parfois sur des boutons sur lesquels je n’appuyais pas avant”. De plus, j’ai l’impression que des cabinets boutiques vont émerger. Je pense en effet que l’ancien modèle d’affaires des cabinets changera. Sauf pour les grandes transactions, qui requièrent le recours aux grands cabinets, je suis d’avis que la possibilité d’avoir accès à des gens très spécialisés, à moindre coût et selon une méthode de facturation qui ne soit pas fonction des heures chargeables gagnera en popularité.
Je crois, en effet, que le modèle d’affaires des grands cabinets devra être repensé: l’expertise est là, mais il s’agit aussi de systèmes parfois lourds et dispendieux. Je crois que des gens spécialisés pourraient dans le futur être tentés de faire cavalier seul ou de travailler en petits groupes pour tirer profit de leur notoriété et mieux prendre avantage d’une structure de coûts plus intéressante pour bien des clients.
La perception du public envers la profession et les avocats en général est-elle plus positive, égale ou moins positive qu’elle ne l’était lors de vos débuts en pratique? Et pourquoi, à votre avis?
Je crois que la situation s’est peu améliorée. Ce qu’on fait est très complexe, et n’est donc pas facile à démystifier ou à expliquer. Il n’est pas facile pour quelqu’un qui ne s’y connaît pas de comprendre, et les clichés reviennent donc souvent. Souvent, les cas où le public voit un aspect de la profession sont ceux du style des commissions Gomery ou Bastarache, qui montrent un aspect de ce que les choses sont, oui, mais malheureusement souvent dans un contexte très politique.
Les scandales sont publicisés et les bons coups le sont rarement, comme c’est le cas pour d’autres professions. Il faut bien sûr éliminer les “pommes pourries”, et je crois qu’à cet égard le système fait un très bon travail. Mieux expliquer les bons coups et communiquer ce que l’on fait aiderait certainement.
Quel conseil donneriez-vous à quelqu’un débutant sa carrière? On fait comment, pour percer et devenir chef de contentieux comme vous?
Mon premier commentaire serait de dire qu’il n’y a pas de recette : il faut être soi-même et aller où nos goûts et parfois les circonstances nous mènent, en sachant rester flexible. Plutôt que d’entrer dans la profession avec un plan bien précis – qui peut fonctionner, il est vrai – je crois pour ma part qu’il faut savoir élargir ses horizons et se garder du temps pour cela – et pour faire autre chose. Quand tu avances dans le métier et acquiers de l’expérience, les autres en viennent à prendre pour acquis que tu es un bon juriste. Ce qui fait la différence réside donc à partir de ce moment dans ce que tu peux apporter de plus que ton simple travail d’avocat. Cela demande une culture générale plus grande, et la capacité de parler à des gens qui, comme les hommes d’affaires, font autre chose que du droit.
Je crois donc qu’il faut “garder ses portes ouvertes”, rester disponible aux opportunités et savoir improviser. Il ne faut pas avoir peur de prendre des risques et de voir les opportunités, parfois en reculant de deux pas pour pouvoir mieux sauter, et quitte à quelquefois rencontrer des échecs. Il faut explorer des options qui ne sont pas toujours évidentes, et se garder l’espace suffisant pour bâtir son propre poste.
En vrac…
• Dernier bon livre qu’il a lu – « La carte et le Territoire » (Auteur : Michel Houellebecq) et « Comment je vois le monde » (Auteur : Albert Einstein)
• Dernier bon spectacle – « Roberto Devereux » de Donizetti
• Restaurant préféré – Européa (rue de la Montagne)
• Pays qu’il aime visiter – Les Alpes Suisses.
• S’il n’était pas avocat, il serait…chef d’orchestre!!
Bio
Depuis 2008, Me Bruno Duguay supervise la gouvernance juridique du groupe Novacap, un des chefs de file dans le domaine des investissements privés et du capital de risque au Canada avec 790 millions sous gestion.
A titre de Vice-président Affaire juridiques, il conseille les équipes d’investissement, et coordonne et gère les aspects légaux et risques juridiques associés aux opérations de plus de 25 sociétés en portefeuille au Canada et aux États-Unis.
Au cours de la dernière année, il a en outre dirigé d’importantes transactions dans les domaines technologiques et industriels dont l’acquisition de Creaform, Technomédia et Nautilus au Canada, ainsi que de PK Ware et de Smyth aux États-Unis. Il a également participé étroitement à toutes les étapes de la négociation complexe de la privatisation de IPL Inc., une opération d’une valeur de plus de 130 millions.
Me Duguay a débuté sa carrière en 1991 au sein de l’équipe de litige commercial du cabinet d’avocats Stikeman Elliott.
De 2000 à son arrivée chez Novacap, il a été conseiller juridique à la Caisse de dépôt et placement du Québec pour le secteur du placement privé.
À ce titre, il a été impliqué dans la négociation et la clôture de transactions d’investissements en direct par la Caisse dans diverses entreprises et été responsable de l’aspect juridique du portefeuille de fonds Buy Out et de fonds de capital de risque de la Caisse, incluant la mise en place de la documentation juridique relativement à plus d’une centaine de fonds situés au Canada, aux États-Unis, en Europe et en Asie.
Il a aussi été responsable, pour la Caisse, de la gestion de tous les dossiers litigieux. Au printemps 2007, Me Duguay a été sélectionné par un jury pancanadien composé de juristes, comme l’un des 5 finalistes nationaux pour le prix d’excellence du Canadian General Counsel Awards – 2007 dans la catégorie Litigation Management, organisé par ZSA et le National Post.
En 2010, Me Duguay a été identifié comme l’un des cinq finalistes au titre de Chef des affaires juridiques de l’année 2010 au Québec, par un jury composé d’éminents juristes lors du gala des Conseillers Juridiques du Québec organisé par ZSA et La Presse.
Me Duguay a reçu sa licence en droit de l’Université d’Ottawa en 1990 (LL.L Magna Cum Laude) et a été admis au Barreau du Québec en 1991. Il siège au conseil d’administration de l’Opéra de Montréal.