Cette semaine, c’est à Jean Bertrand que Dominique Tardif donne la parole. L’associé directeur du bureau de Montréal, revient sur sa carrière et partage sa vision du métier.
Pourquoi avez-vous, à l’origine, décidé d’être avocat plutôt que de choisir une autre profession? Étiez-vous de ceux qui rêvent d’être avocat dès l’âge de cinq ans, ou s’agit-il plutôt d’un « accident de parcours »?
Quand j’avais cinq ans, je voulais non pas être avocat, mais pompier pour pouvoir conduire la grande échelle ! (Rires).
Le fait que je pratique le droit est, quant à lui, effectivement un peu comme un accident de parcours, mais pas le fait d’avoir fait mes études de droit. J’ai fait mon droit car je savais qu’il s’agissait d’une formation générale qui mène à tout. En pratiquant, je me suis en quelque sorte laissé convaincre, et suis tombé en amour avec la profession. J’ai fait mes débuts comme étudiant en droit après ma deuxième année de baccalauréat, chez ce qui s’appelait à l’époque Ogilvy Renault. À l’origine, je caressais le projet de compléter ensuite un MBA. La dernière chose que je pensais faire était bien de devenir plaideur ! Pourtant, c’est ce que je fais aujourd’hui, et je ne ferais pas autre chose : j’adore ça!
La vie est faite d’opportunités à saisir, et c’est ce que j’ai fait. Je crois qu’il est bien d’avoir un plan de carrière, mais de garder l’esprit ouvert pour pouvoir s’en distancer quand les opportunités se présentent, plutôt que de les éliminer systématiquement au motif qu’elles s’écartent du plan d’origine.
Quel est le plus grand défi professionnel auquel vous avez fait face au cours de votre carrière ?
C’est le changement lui-même qui, pour moi, a été le plus grand défi dans la pratique du droit. Quand j’ai commencé à pratiquer en 1982, la pratique n’était pas ce qu’elle était il y a cinq ans, tout comme la pratique d’aujourd’hui est déjà différente de ce qu’elle était il y a tout juste quelques années.
Plus le temps avance, et plus les changements s’opèrent à “une vitesse grand V”. Pour réussir, il faut une capacité à s’adapter et à embrasser le changement, en l’acceptant comme nécessaire.
Et de quelle façon la pratique a-t-elle changé ?
Outre la fusion de notre cabinet, le contexte de globalisation et de consolidation du marché juridique en général amène évidemment son lot de changements. La pratique locale a, en effet, complètement changé : non seulement les clients ne sont plus simplement locaux, mais les clients locaux considèrent eux-mêmes les opportunités d’affaires dans les marchés extérieurs.
Un des autres changements importants de la pratique du droit réside dans le fait que le droit est de plus en plus “une business”, une industrie. Que cela plaise ou non, c’est la réalité, et la solution n’est pas d’essayer de vivre dans une autre dimension en contestant le changement. Il faut, au contraire, se montrer à l’avant-garde des choses et changer notre façon d’aborder la nouvelle réalité. Il est important, pour continuer d’être bien vu de nos clients en notre qualité d’avocat, de continuer à changer notre façon de travail et d’interagir avec eux. Nous devons faire partie intégrante de leurs objectifs d’affaires et de leurs opérations. Avant, le client nous référait un litige, s’en remettait à nous pour solutionner le problème en sachant que nous nous en chargerions en lui faisant des rapports périodiques. Aujourd’hui, notre travail est plus intimement lié à la vie de l’entreprise : nous faisons partie d’une équipe et devons nous adapter à la façon dont cette entreprise gère les projets. La réalité est différente, notamment quant au besoin de trouver des méthodes alternatives de facturation, une chose que les comptables ont d’ailleurs compris avant nous.
Quels sont selon vous les changements à anticiper au cours des années à venir quant à l’exercice de la profession ?
Je crois que les avocats devront se montrer davantage capables d’analyser les risques d’affaires liés à l’exécution d’un mandat, et d’évaluer à l’avance le coût de leurs services, en établissant un vrai partenariat avec le client. Ils devront accepter de prendre des risques avec le client, tout en étant rémunérés en fonction du succès de l’opération. D’une part, nous en sommes à l’étape où les clients souhaitent que nous prenions des risques, sans toujours être tout à fait prêts à nous rémunérer pour les risques ainsi pris. D’autre part, les avocats ne sont pas tout à fait capables, de leur côté, de prendre ces risques et de bien les évaluer, quel que soit le secteur de droit en cause. Je suis d’avis qu’il y a donc de la place pour de nombreuses évolutions et améliorations sur ce plan : nous pouvons grandir et prendre de la maturité de façon à devenir de meilleurs gestionnaires.
La perception du public envers la profession et les avocats en général est-elle plus positive, égale ou moins positive qu’elle ne l’était lors de vos débuts en pratique? Et pourquoi, à votre avis ?
Fondamentalement, je crois que les gens respectent ceux qui exercent une profession. Cela dit, les avocats ne sont plus, il est vrai, “portés aux nues” comme ils l’ont peut-être déjà été. Bien sûr, l’accessibilité au système judiciaire compte ses critiques, et l’intégrité est variable selon certains, en fonction des événements et de la conjoncture. Cependant, dans l’ensemble, je ne pense pas que la perception du public à l’égard des avocats soit moins bonne qu’avant.
Quel conseil donneriez-vous à quelqu’un débutant sa carrière ? Comment fait-on pour devenir Jean Bertrand et avoir une carrière à succès en litige en même temps que des fonctions d’associé directeur ?
D’abord, il faut que la profession soit une passion, et non simplement un travail ! Je crois que la plus grande qualité de l’avocat, en prenant pour acquis qu’il détient les qualités de base (comme le fait de bien connaître son droit), est la capacité qu’il a d’entretenir des relations interpersonnelles. Même si l’on vit aujourd’hui dans un environnement qui semble de plus en plus déshumanisé, le choix du client en faveur d’un avocat ou d’un autre, repose très souvent sur sa perception de relation positive et de confiance envers son avocat. L’intelligence émotionnelle (“EQ”) est souvent plus importante ici, que le quotient intellectuel (“IQ”). La pratique d’un avocat est véritablement fondée sur ses relations personnelles et il est nécessaire d’en saisir toute l’importance.
En litige, le succès tient à la crédibilité que l’avocat a vis-à-vis du juge, du client, des parties adverses, etc. Le même principe vaut en droit des affaires, vis-à-vis, des autres interlocuteurs, lorsqu’une entente est négociée. Il ne suffit pas d’être intelligent et d’avoir développé des aptitudes sur le plan technique pour réussir. Pourtant, cet aspect de la profession n’est pas quelque chose qui s’enseigne à l’université, cela s’apprend, même si les choses viennent plus naturellement à certains qu’à d’autres. Il s’agit en fait de savoir se mettre dans la peau de quelqu’un d’autre plutôt que “de se contenter de voir le monde à travers ses propres lunettes”.
En vrac…
• Les romans policiers qu’il recommande : « Le Léopard » et « Le Bonhomme de neige » (Jo Nesbo).
• Le dernier bon film qu’il a vu :« Intouchables » (réalisateurs : Olivier Nakache et Éric Toledano).
• Sa chanson fétiche : « The Girl From Ipanema » (écrite par Antônio Carlos Jobim).
• Son proverbe préféré : « Patience et longueur de temps font plus que force ni que rage » (« Le lion et le rat », Fables de La Fontaine).
• Ses péchés mignons : L’épicurisme sous plusieurs de ses facettes comme le bon vin & la bonne bouffe !
• Son restaurant préféré… c’est chez lui, quand il cuisine!
• Un pays qu’il aimerait visiter : L’Inde
• Le personnage historique qui le frappe le plus : Churchill. Pourquoi ? Pour ses multiples talents d’orateur, de politicien, de peintre et d’écrivain. C’est quelqu’un qui connaissait bien sa société ainsi que les humains en général. Il avait une force de caractère et une résilience hors du commun, de même que la capacité de convaincre et d’adapter son discours à son auditoire.
• S’il n’était pas avocat, il serait… architecte ou un professionnel dont le travail combine le travail manuel, le design et la conception.
Bio
Jean Bertrand est membre du comité de direction de Norton Rose Canada, associé directeur du bureau de Montréal et président du comité des finances de Norton Rose Canada. Il se consacre principalement aux domaines des litiges commerciaux et corporatifs, y compris les recours collectifs et l’arbitrage ainsi qu’à divers secteurs du droit administratif, particulièrement ceux ayant trait à la règlementation à caractère économique tels la concurrence, les transports, les échanges commerciaux internationaux et l’énergie. Me Bertrand a comparu fréquemment devant les tribunaux du Québec et les tribunaux fédéraux, notamment la Cour suprême du Canada, ainsi que devant plusieurs organismes de réglementation, dont la Commission des transports du Québec, la Régie de l’énergie, le Tribunal de la concurrence, le Tribunal canadien du commerce extérieur et l’Office national de l’énergie. Il a présenté des observations devant divers comités parlementaires et organismes gouvernementaux dans le cadre de l’adoption de nouvelles législations ou de changements proposés à des politiques gouvernementales et a souvent été appelé à représenter les gouvernements fédéral et québécois dans des négociations avec les Premières nations. De 1992 à 1993, Me Bertrand a figuré sur la liste des 25 experts canadiens habilités à faire partie des groupes spéciaux binationaux créés aux termes du chapitre 19 de l’Accord de libre-échange entre le Canada et les États-Unis. De 1987 à 1993, il a enseigné à l’École du Barreau du Québec et participé à la correction des examens.