Cette semaine, Dominique Tardif, de ZSA, s’entretient avec Jean Daigle, Vice-président, Affaires juridiques à la Banque Laurentienne.
Pourquoi avez-vous, à l’origine, décidé d’être avocat plutôt que de choisir une autre profession? Était-ce une tradition familiale ou le fruit d’un hasard?
D’aussi loin que je puisse remonter dans l’arbre généalogique, personne dans la famille n’était avocat. Contrairement à d’autres, ma vocation est venue plutôt sur le tard.
En effet, c’est en sortant de mes études en finance à McGill que j’ai réalisé que les postes vers lesquels je me dirigeais ne m’intéressaient pas vraiment. Je me trouvais par ailleurs jeune et encore mal outillé.
J’ai constaté l’utilité du droit en travaillant dans une cour municipale l’espace d’un été. Comme disait mon
père, ‘le droit mène à tout, pourvu qu’on en sorte’ : j’étais donc conscient que le droit m’ouvrait bien des portes. Ma mère, quant à elle, était bien fière de moi et me voyait déjà arborer la toge et défendre la veuve et l’orphelin! Elle a bien dû être un peu déçue, à bien y repenser, comme je ne l’ai portée qu’une fois, pour une simple requête pendant mon stage!
J’ai donc complété mes études de droit à Québec, puis ai fait mon stage à Montréal chez McMaster Meighen (aujourd’hui BLG). Surtout compte tenu d’un concours de circonstances et de ma formation en finance, j’ai toujours travaillé en droit des affaires et en valeurs mobilières…et j’y ai définitivement pris gout!
Quel est le plus grand défi professionnel auquel vous avez fait face au cours de votre carrière?
Mon plus grand défi a été de faire le saut en entreprise : ce fut un changement d’environnement radical, et aussi comme un second souffle à ma carrière.
Je m’explique :
En pratique privée, les avocats sont appelés à se spécialiser, voire même à se surspécialiser. En entreprise, c’est plutôt le contraire: il faut analyser à grande vitesse et développer des réflexes dans plusieurs secteurs de droit. Cet aspect des choses allait évidemment consister en un défi pour moi, comme ma spécialité en valeurs mobilières, je le savais, n’allait pas, bien qu’utile, constituer la dimension la plus importante de ma pratique.
Hormis un dossier dans le domaine qui a, il est vrai, rendu un peu plus confortable mon ‘atterrissage’ au départ, j’ai ensuite saisi la nouvelle réalité, à savoir celle qui implique de débroussailler les éléments pour aller droit au but et d’utiliser ses réflexes pour savoir quand il est important ou non de consulter. En entreprise, l’avocat est très vite placé hors de sa zone de confort vu cette incroyable diversité de champs d’intervention… ce qui rend le défi très excitant!
Quant aux institutions financières, elles doivent aujourd’hui composer avec un bagage d’exigences réglementaires de plus en plus lourd. L’un des défis consiste à composer avec des ressources plus limitées qu’avant, dans un environnement très réglementé, mais en réussissant pourtant à solutionner les mêmes problèmes.
La gestion du risque est, par voie de conséquence, omniprésente dans toutes nos interventions, alors que cet élément n’est pas toujours ‘sur le radar’, dépendant du mandat, lorsqu’on travaille en pratique privée. L’avocat d’entreprise développe donc ce que j’appellerais des «habiletés de funambule», soit la capacité à marcher sur une corde raide… et souvent sans filet!
Si vous aviez une baguette magique, que changeriez-vous à la pratique du droit?
L’accessibilité à la justice est un problème omniprésent pour les particuliers, mais aussi pour les entreprises. En effet, l’accès des entrepreneurs aux cabinets d’avocats est restreint vu des taux horaires trop élevés. Les délais de règlement d’une cause sont de leur côté parfois inacceptables, ce qui contribue malheureusement à donner un mauvais nom à la profession.
On se demande bien sûr tous pourquoi cela perdure, sans trouver la solution. Il est un peu désolant de voir qu’un grand nombre d’individus cherche à éviter le système judiciaire, et parfois – malheureusement – à juste titre.
La perception du public envers la profession et les avocats en général est-elle plus positive, égale ou moins positive qu’elle ne l’était lors de vos débuts en pratique? Et pourquoi, à votre avis?
Je pense que les avocats attireront toujours leur lot de cynisme mais que le bilan, de façon générale, est tout de même assez positif. Il faut à mon avis souligner le bon travail de sensibilisation du Barreau quant aux services offerts.
Le syndic fait quant à lui bien son travail pour radier les indésirables, et la formation continue obligatoire, qui met de plus en plus l’éthique à l’ordre du jour, contribue aussi grandement à redorer l’image de la profession en formant les gens qui pourraient autrement la ternir.
Quel conseil donneriez-vous à quelqu’un débutant sa carrière et ayant pour objectif d’éventuellement se retrouver à la tête d’un département des affaires juridiques?
La curiosité intellectuelle et la nécessité d’élargir ses horizons me viennent rapidement en tête. En effet, entre simplement se préparer à un examen et maîtriser son sujet, il y a deux! Il ne faut pas hésiter à se donner à fond, même quand les sujets ne nous emballent pas à prime abord, parce que, parfois, on apprend à les aimer!
Il faut aussi être prêt à consacrer temps et énergie à son travail. En droit, on «cherche beaucoup et on trouve peu», avait dit un de mes professeurs à la faculté…j’avais donc compris qu’il y avait beaucoup de sueur d’impliquée dans ce métier!
Je suis aussi de ceux qui croient que les jeunes avocats doivent saisir toutes les opportunités qu’ils ont de plonger dans un domaine avec lequel ils ne sont pas familiers. Du ‘ready made’, comme les aliments surgelés, il y en a beaucoup en droit!
Or, il existe d’autres façons de se rendre au but. Lire un résumé de jugement est peut-être suffisant pour passer l’examen, mais lire la décision en entier permet de mieux comprendre le raisonnement et d’un jour se démarquer.
Quand j’embauche quelqu’un, je cherche quelqu’un d’agile, qui «n’a pas peur du noir» et qui a la capacité de proposer des solutions novatrices. Il est bien sûr difficile de développer des idées nouvelles quand l’exercice s’est limité, sur les bancs d’école, à faire du «gavage» d’informations qui se retrouvent par la suite reproduites sur la feuille d’examen: il faut aller au-delà!
La curiosité intellectuelle permet de développer son jugement, ses réflexes et sa capacité à penser à autre chose, de façon à apporter de la valeur ajoutée.
En vrac…
• Les derniers bons livres qu’il a lus – L’investisseur intelligent (auteur : Benjamin Graham) et la
Bibliographie de Warren Buffett (auteur : Alice Schroeder) (à lire dans cet ordre)
• Le dernier bon film qu’il a vu – Lincoln (réalisateur : Steven Spielberg)
• Sa chanson fétiche – What would you say (Dave Matthews Band)
• Son expression ou diction préféré– « Il n’y a pas de problème, que des solutions ».
• Son péché mignon – Le foie gras accompagné de confit d’oignons, avec vin de glace!
• Son restaurant préféré – Graziella (rue McGill)
• Le pays qu’il aimerait visiter– L’Italie
• Le personnage historique qu’il admire le plus– Churchill, un fin stratège et un homme vif d’esprit.
• S’il n’était pas avocat, il serait…définitivement en affaires!
Me Jean Daigle occupe le poste de Vice-président, Affaires juridiques à la Banque Laurentienne du Canada depuis juillet 2012. Me Daigle a débuté sa carrière en 1986 chez McMaster Meighen (prédécesseur de Borden Ladner Gervais) pour ensuite y devenir associé. Après plus de 10 années, il se joint à titre d’associé chez Ogilvy Renault (prédécesseur de Norton Rose Fulbright). Il quitte la pratique privée douze (12) ans plus tard pour occuper le poste de Directeur du financement des sociétés à l’Autorité des marchés financiers durant trois (3) ans.
Me Daigle cumule plus de 25 années d’expérience en droit des affaires. Il possède une expertise en droit corporatif et commercial ainsi qu’en valeurs mobilières, notamment en ce qui concerne les appels publics à l’épargne, les placements privés, les offres publics d’achat, les opérations de fusions et acquisitions et les contrats commerciaux de tous genres, dont des partenariats et des ententes d’impartition.
Il a représenté des sociétés ouvertes et fermées œuvrant dans des secteurs d’activités variés, dont des banques, des sociétés de fiducie, des sociétés d’assurance, des courtiers et des conseillers en valeurs mobilières, des sociétés manufacturières et des sociétés de télécommunications.
Me Daigle est membre du Barreau du Québec depuis 1986.