Cette semaine, Dominique Tardif de ZSA s’entretient avec l’associée directrice du bureau montréalais de Gowlings, Me Joëlle Boisvert.
Pourquoi avez-vous, à l’origine, décidé d’être avocate plutôt que de choisir une autre profession? Fruit de longues réflexions, une histoire de famille ou un pur hasard?
J’aime dire que le droit a été pour moi un accident de parcours et l’une des meilleures « erreurs » de ma vie! Dans ma famille, je n’avais pas d’avocats en pratique privée dans un grand bureau. Mon père était homme d’affaires et je pensais suivre sa trace. J’avais donc fait ma demande en commerce. À l’époque, on ne pouvait pas faire deux demandes auprès de la même université.
Pour le plaisir d’essayer, j’ai aussi fait une demande en droit à l’Université de Sherbrooke, sachant cependant qu’à l’époque, il était très difficile d’y entrer. J’aimais le théâtre, les débats oratoires et m’exprimer. Dans mon for intérieur, je crois bien que je me demandais si j’étais capable de réussir une carrière en droit alors que personne ne faisait ça dans mon environnement.
J’étais à Paris avec mes parents lorsque j’ai fait mon choix définitif pour le droit. Je m’en souviens très bien. Nous étions sur un pont et je me suis retournée vers mon père en disant « Papa, je pense bien que je vais devenir avocate. Je poursuivrai ensuite en affaires mais j’aurai fait mon droit. » Et lui de me répondre : « Il est certain que tu seras bonne et que tu fais un bon choix ». J’ai donc déménagé à Sherbrooke. Incluant le Barreau, ce fut quatre magnifiques années. Je ne me suis pas trompée en écoutant mon instinct.
J’aime aujourd’hui à dire que je fais des affaires, même si je pratique en litige. Je travaille avec des entreprises et mon intérêt pour les affaires est assouvi par la pratique actuelle. J’ai le bonheur de travailler avec différentes entreprises, d’aller à la cour et de conseiller les clients quant à leurs stratégies.
Quel est le plus grand défi professionnel auquel vous avez fait face au cours de votre carrière?
Mon plus grand défi est quotidien et s’applique dans ma pratique aussi bien que dans mon rôle d’associée-directrice. Il faut être capable d’identifier les choses sur lesquelles j’ai vraiment du contrôle et que je peux faire changer, en les distinguant de celles sur lesquelles je n’en ai pas.
En litige, tu te fais confier un dossier et tu dois composer avec les faits qu’on te donne et le droit tel qu’il est. Tu dois te concentrer sur ce sur quoi tu as du contrôle, parce qu’il y aura toujours des impondérables. Même si on ne peut pas toujours tout rendre parfait, il faut savoir se détacher et être content du résultat quand on a réussi à rencontrer ses objectifs, qu’il s’agisse d’un arbitrage, d’une négociation ou d’un procès. On peut faire tout ce que l’on peut, mais il faut accepter que certaines choses nous échappent, tant sur le plan professionnel que sur le plan personnel.
Ce défi s’applique tout autant dans mon rôle d’associée-directrice, où il faut être en mesure d’identifier les orientations du bureau et faire en sorte que les gens s’engagent vers la poursuite d’un but commun.
En bref, il faut se rappeler que nous sommes souvent notre pire juge quand nous évaluons nos propres résultats. Il faut se donner la chance de constater que parfois, il n’y a que nous qui pensons que les choses auraient pu être modulées pour en arriver à un résultat différent, alors que les autres sont pourtant bien contents du résultat!
Si vous aviez une baguette magique, que changeriez-vous à la pratique du droit?
J’ajouterais trois heures à notre journée ! Avoir plus de temps dans notre journée professionnelle nous permettrait d’avoir davantage l’occasion de prendre du recul et de réfléchir. Pourtant, tous les facteurs jouent contre cet élément essentiel qui consiste en le fait « digérer les choses » afin de prendre de meilleures décisions.
Ce défi, nous l’avions il y a 25 ans, mais il est aujourd’hui d’autant plus réel compte tenu de l’instantanéité de la pratique. J’ai le Iphone en intraveineuve ! (rires).
Si j’avais une baguette magique, je nous proposerais donc collectivement de ne pas prendre de décisions trop rapides. De très nombreuses décisions doivent être prises immédiatement, puisque les circonstances sont urgentes. Nous, les avocats, sommes en ce sens un peu comme des pompiers. Cependant, dans d’autres circonstances, ça « sent le brûlé mais le feu n’est pas pris », et l’heure de plus passée à la réflexion nous permet de mieux poser le problème. Cela ne signifie pas nécessairement que la décision sera différente, mais elle sera prise avec tous les éléments considérés.
La perception du public envers la profession et les avocats en général est-elle plus positive, égale ou moins positive qu’elle ne l’était lors de vos débuts en pratique? Et pourquoi, à votre avis?
À l’époque, la société vouait beaucoup de respect au fait d’être médecin, avocat ou prêtre. C’était, à peu de choses près, presque « la fin du monde » que d’être avocat ! Je crois qu’à cet égard, la perception a changé et que c’est une excellente chose. Dans le grand ordre des choses, il est vrai que les avocats ont un rôle à jouer, évidemment. Ce n’est cependant pas ceux qui, à mon avis et sauf dans des cas exceptionnels, apportent le plus à la société.
Les gens n’ont peut-être plus le même regard impressionné qu’avant envers la profession, il est vrai. La profession doit donc maintenant poser des gestes concrets – et ce n’est pas une mauvaise chose – pour se positionner positivement vis-à-vis du public.
Les avocats sont notamment perçus comme des individus qui gagnent très rapidement des revenus très élevés, par exemple lorsqu’ils travaillent au sein d’importantes structures. Cela devrait avoir pour bénéfice de nous obliger à s’impliquer et à redonner à la société.
Impliquez-vous, et redonnez aux plus démunis. Prenez du temps pour faire autre chose de bien. La population a le droit de s’attendre d’un groupe de personnes privilégiées qu’elle redonne au suivant et fasse du pro bono.
Quel conseil donneriez-vous à quelqu’un débutant sa carrière et voulant avoir du succès en pratique privée en grand cabinet?
Je pense que de suivre votre instinct ne vous trompera pas. Outre cela, c’est le travail et l’engagement de chacun envers sa profession qui font la différence. L’intelligence et le talent aident, bien sûr, mais je prends pour acquis que c’est généralement le lot de ceux qui pratiquent le droit.
Il faut par ailleurs savoir s’écouter, puisque la profession n’est pas pour tout le monde. Il n’y a pas qu’un chemin dans la vie. Il faut se permettre « d’embarquer » dans la profession puis de se reposer la question quant à savoir si elle nous convient ou non. Si la réponse est oui, alors viennent l’engagement et le fort travail, desquels découlent un sentiment d’accomplissement et un véritable amour de la profession. Il faut être convaincu de vouloir faire du droit sa carrière pour réussir. Lorsque l’on répond « oui » à la question, l’engagement et le reste vont de soi, même si cela est parfois très prenant.
En vrac…
• Le dernier bon livre qu’elle a lu – La saga historique : Fall of Giants et Winter of the World (auteur : Ken Follett)
• Le dernier bon film qu’elle a vu – Twelve Years of a Slave (réalisateur: Steve McQueen)
• Sa chanson fétiche – September de Heart, Wind & Fire.
• Son expression préférée – les gens me reconnaissent à l’expression ‘Là, on va se dire les vraies affaires’.
• Son péché mignon – les macarons, surtout ceux au café & au chocolat!
• Elle adore casser la croûte à… la Rôtisserie du Mile-End, coin St-Viateur et St-Urbain.
• Le pays qu’elle aimerait visiter – Le Bouthan, parce qu’elle fait beaucoup de sport et adore la randonnée.
• Le personnage historique qu’elle admire le plus (et pourquoi?) – Nelson Mandela pour sa résilience. Je me sens interpellée par les gens qui traversent de grandes épreuves et qui choisissent la non-violence et en sortent grandis.
• Si elle n’était pas avocate, elle serait…enseignante de plongée sous-marine et s’assurerait de protéger la faune & la flore en plongée!
En tant qu’avocate plaidante principale en litige commercial et en litige civil, elle représente d’importantes sociétés nationales et internationales. Elle conseille aussi ses clients sur la stratégie à adopter et les risques à considérer en cas de litige. Sa pratique l’a entraînée à plaider devant les tribunaux fédéraux, provinciaux et administratifs et à mener des procédures d’arbitrage et de médiation pour de nombreux clients.
Graduée du programme de baccalauréat en droit de l’Université de Sherbrooke en 1987, elle a fait ses débuts au cabinet d’avocats Heenan Blaikie, avant de se joindre, en 1989, à Desjardins Ducharme à titre d’avocate-associée. Depuis 2004, elle fait partie de l’équipe de Gowlings.
Me Boisvert figure régulièrement au sein du palmarès annuel The Best Lawyers in Canada et a été classée parmi les 10 avocates les plus remarquables en litige d’affaires au Québec par Le Monde juridique. Elle est membre du Barreau du Québec depuis 1988.