Cette semaine, Me Dominique Tardif, de ZSA, s’entretient avec Me Louis Morisset, président-directeur général de l’Autorité des marchés financiers.
Pourquoi avez-vous, à l’origine, décidé d’être avocat plutôt que de choisir une autre profession?
C’est pour me distinguer de mes aînés que j’ai choisi le droit. J’étais le troisième d’une famille de quatre: mon père et ma sœur étaient médecins, alors que mon frère était comptable et par la suite banquier d’affaires.
C’est en conversant avec un ami de mon père, à l’époque avocat chez Guy & Gilbert, que je me suis intéressé au droit. Le volet affaires du droit m’a tout de suite attiré, d’autant plus que j’avais une certaine compréhension du monde des affaires et des implications des transactions de par le métier qu’exerçait mon frère. Je m’y suis donc dirigé et ne l’ai jamais regretté !
Quel est le plus grand défi professionnel auquel vous avez fait face au cours de votre carrière?
Je dirais que mon plus grand défi a été de me développer comme gestionnaire et leader d’un groupe important. Avant de me joindre à l’Autorité des marchés financiers, j’ai travaillé dix ans chez Stikeman Elliott. Ce fut une école extraordinaire : j’y ai travaillé très fort et ai été exposé à une foule d’opportunités, touchant à plusieurs dossiers d’envergure et aux enjeux liés à la pratique des valeurs mobilières.
Je m’aperçois aujourd’hui que, si j’étais techniquement bien préparé à mon rôle de l’époque de Surintendant des marchés de valeur, je n’étais pas pour autant préparé à devenir un « meneur d’hommes ». En pratique privée, nous travaillons sur un dossier et mettons des gens à contribution, mais nous n’avons pas nécessairement le souci constant de développer les gens qui travaillent avec nous. La perspective du cabinet privé est différente de celle que nous avons dans les entreprises. Les façons de faire que j’avais apprises en cabinet n’étaient donc pas directement transférables et applicables à mes nouvelles fonctions.
À trente-trois ans, je me suis ainsi retrouvé en charge d’une équipe de 75-80 personnes, que nous avons ensuite fait grossir avec le temps. Je me devais de passer rapidement du rôle de ‘joueur de premier trio’ à celui de coach, et du rôle de celui qui fait le travail au rôle de celui qui en délègue à d’autres. Pour cela, il faut développer son écoute et une réelle volonté de faire en sorte que les gens avec qui on travaille se développent et aient l’opportunité de s’exprimer et de partager leurs idées, sachant que tout le monde ne grandit pas en appliquant ‘la même recette’.
Même si vous ne pratiquez pas depuis quelques années, dites-nous ce que vous changeriez à la pratique du droit, si vous aviez une baguette magique?
J’ai eu la chance de travailler en cabinet privé pendant des années de croissance et de ne pas avoir connu de périodes difficiles. Cela dit, je crois qu’il serait nécessaire de réformer l’approche de facturation. D’autres types de professionnels, comme les consultants dans des firmes telles McKenzie ou encore les banquiers d’affaires, vendent à forfait leurs services plutôt que de vendre du temps.
Je crois qu’il devrait exister une façon de valoriser davantage le service des avocats en le vendant autrement, ce qui aurait aussi pour impact de créer un climat plus sain. Lorsque les temps sont plus difficiles, les avocats qui ont moins de travail ont forcément moins d’intérêt à développer les plus jeunes et à leur déléguer des heures. Si l’on travaillait à forfait, je crois que l’on mettrait plus facilement tout le monde à contribution.
Quant au droit en général, ce que je changerais d’un coup de baguette magique, c’est l’accès à la justice, qui est absolument fondamental.
La perception du public envers la profession et les avocats en général est-elle plus positive, égale ou moins positive qu’elle ne l’était lors de vos débuts en pratique? Et pourquoi, à votre avis?
Elle n’a pas vraiment changé. Pour ma part, je n’ai jamais vraiment ressenti que le public avait une perception négative de la profession. Les avocats ne sont pas élevés au rang des policiers et des pompiers mais ne sont pas pour autant mal vus. J’ai souvent eu le sentiment que c’est au contact des avocats, lorsque les gens éprouvent un problème ou une difficulté, qu’ils réalisent l’ampleur de ce qu’ils peuvent leur apporter. Bien sûr, le droit criminel peut donner à la population une perception mitigée quand certains défendent les criminels. En droit des affaires cependant, j’ai toujours eu le sentiment que la perception était généralement positive.
Quel conseil donneriez-vous à quelqu’un débutant sa carrière et voulant gravir les échelons comme vous l’avez fait ?
Vous direz peut-être que je suis de ceux qui sont de la vieille école et qui pensent qu’il faut travailler extrêmement fort au début, avec pour objectif de saisir la chance d’être exposé au plus grand nombre d’expériences possibles. Cela nécessite bien des heures et des soirées, c’est vrai. Mais dans mon cas, c’est justement ce qui m’a permis d’avoir le rôle que j’ai eu en 2006, puis d’obtenir à quarante et un ans celui de président-directeur général de l’Autorité des marchés financiers.
À ceux qui veulent s’éloigner du droit pour un jour faire autre chose, mon conseil est donc de se dépenser à l’ouvrage sans compter afin d’en voir le plus possible. Dans mon rôle de surintendant, j’ai rapidement réalisé que mes homologues avaient souvent plus d’années d’expérience que moi et qu’ils avaient vu plus souvent que moi certains types de dossiers; cela dit, j’avais moi aussi vu bien des choses grâce au travail que j’avais fait pendant ces premiers dix ans. Je n’avais évidemment pas tout vu dix fois, mais j’avais vu beaucoup de dossiers et suffisamment de fois pour me sentir à l’aise dans le rôle que j’occupais. Le fait d’avoir travaillé aussi fort a vraiment fait une différence.
Également important : le fait de ne pas hésiter à se faire confiance et à croire qu’il existe du travail intéressant à l’extérieur de la pratique. Au moment de quitter la pratique privée, je me disais pour me rassurer que je pourrais toujours y retourner au besoin. La vie en a fait autrement : après un mandat de trois ans, j’ai été renouvelé pour cinq ans puis j’ai été nommé PDG. Si je n’avais pas osé sortir de la pratique, je n’aurais jamais goûté à ce type de travail qui me rend si heureux aujourd’hui.
En vrac…
• Il aime lire…des livres sur le leadership et le développement personnel. Les livres de Dale Carnegie, écrits dans les années 30, font d’ailleurs partie de ceux qui l’ont beaucoup inspiré et aidé.
• En bon amateur de cinéma québécois, il nous recommande : Gabriel (réalisateur : Louise Archambault). Il aime le cinéma québécois!
• Son chanteur fétiche : Stromae, pour ses paroles touchantes et sa musique enivrante. ‘Alors on danse!’
• Son péché mignon – un bon pinot noir de Nouvelle-Zélande ou des États-Unis!
• Son restaurant préféré – Leméac (avenue Laurier), assis au bar.
• Le pays qu’il aimerait visiter – La Nouvelle-Zélande.
• Le personnage historique qu’il admire le plus (et pourquoi?) – Nelson Mandela, pour ses convictions profondes et pour sa résilience incroyable dans l’adversité.
• S’il n’était pas avocat, il serait…historien ou architecte!
Me Louis Morisset est depuis le 2 juillet 2013 président-directeur général de l’Autorité des marchés financiers (AMF) . Il agissait auparavant à titre de Surintendant des marchés de valeurs depuis son arrivée à l’Autorité en mai 2006.
À titre de président-directeur général, Me Morisset est responsable de la direction et de l’administration de l’AMF dans le cadre de ses règlements et de ses politiques, ainsi que de la mise en œuvre du plan stratégique de l’Autorité. Il joue un rôle déterminant dans de nombreux dossiers au sein des Autorités canadiennes en valeurs mobilières (ACVM). Il a entre autres mené l’importante réflexion de l’Autorité rendue publique en 2013 sur le rôle des conseils d’administration aux prises avec une offre publique d’achat non sollicitée. En 2011 et 2012, il a piloté les travaux ayant conduit à l’approbation par l’Autorité de l’acquisition du Groupe TMX, de la CDS et d’Alpha Trading Systems par le consortium Maple.
Sur la scène internationale, il représente l’AMF notamment au sein du conseil de l’Organisation internationale des commissions de valeurs (OICV) et a contribué aux travaux de cette organisation. Me Morisset acodirigé en 2010-2011 les travaux du Groupe de travail spécial de l’OICV chargé d’examiner au sortir de la crise financière le rôle des régulateurs de valeurs mobilières en matière de risques systémiques. Il a également été élu pour deux mandats consécutifs de deux ans entre 2007 et 2011 président du Groupe de surveillance chargé de superviser la mise en œuvre et l’application de l’Accord multilatéral de l’OICV portant sur la consultation, la coopération et l’échange d’information.
Me Louis Morisset est membre du conseil d’administration de l’Institut sur la gouvernance d’organisations privées et publiques, de Finance Montréal, la grappe financière du Québec et du Collège des administrateurs de sociétés. Il a également été membre de mai 2007 à mars 2014 du Conseil de surveillance de la normalisation comptable et d’octobre 2012 à décembre 2013 du Conseil d’administration de l’Institut de la finance structurée et des instruments dérivés de Montréal.
Diplômé en droit de l’Université de Montréal en 1995, Me Louis Morisset est membre du Barreau du Québec depuis 1996. Avant de se joindre à l’AMF, il était avocat d’affaires associé au sein du cabinet Stikeman Elliott S.E.N.C.R.L., s.r.l.