Cette semaine, Dominique Tardif fait parler Michèle Beauchamp, conseillère juridique principale chez RES Canada. Elle revient sur le chemin professionnel parcouru jusque-là.
Michèle Beauchamp est chargée des dossiers légaux canadiens de RES Canada depuis 2010.
Pourquoi avez-vous, à l’origine, décidé d’être avocate plutôt que de choisir un autre métier/profession?
Tout au long de mon secondaire, je pensais sérieusement me diriger vers la médecine. Mon passage au cégep en sciences de la santé m’a fait changer d’idée : j’ai réalisé que mes intérêts se portaient plus vers la philosophie, la politique et la psychologie, que vers la physique et la chimie. J’ai donc bifurqué vers les sciences humaines, bien que mon choix n’ait pas encore été arrêté entre la psychologie et le droit. Or, mon grand-père maternel était avocat, et ma mère m’en parlait toujours avec beaucoup d’admiration. Mes deux frères aînés, eux, sont aussi avocats, tout comme un de mes oncles. Cela, ajouté aux débats animés autour de la table familiale le dimanche soir, a eu raison de mon hésitation, et le choix s’est finalement fait naturellement pour moi. J’ai peut-être aussi réalisé le rêve de ma mère, qui aurait elle-même voulu être avocate – cela dit, j’aime ma profession et ne regrette en rien la médecine!
Quel est le plus grand défi professionnel auquel vous avez fait face au cours de votre carrière?
Ma réponse vous surprendra peut-être : je pourrais en effet vous parler des dossiers que j’ai eus le privilège de piloter. La vie m’a permis de faire partie d’équipes dynamiques et entrepreneuriales et donc de mener des dossiers majeurs de financement, d’émissions publiques et de réorganisations corporatives. Les défis juridiques étaient grands et la multitude de personnes impliquées requérait organisation et communication intenses. Mais ce n’est pas ce qui constitue, somme toute, mon plus grand défi professionnel. Mon grand défi aura été de maintenir, au Québec, des dossiers qui, de façon presque naturelle, auraient probablement été gérés à partir de Toronto, et d’ainsi m’assurer que des avocats du Québec travailleraient dessus, en permettant par ailleurs aux dirigeants de s’exprimer dans leur langue maternelle. Même si la documentation était souvent rédigée en anglais, je tenais à ce que les gens puissent s’exprimer dans leur langue maternelle, afin que toutes les nuances du dossier puissent être exposées. J’ai toujours cru – et je crois encore – que nous avons d’excellents avocats et entrepreneurs au Québec et que l’expertise doit se développer ici pour servir les gens d’ici. Évidemment, il ne s’agit pas d’ignorer la mondialisation, mais simplement de réussir à maintenir et à développer l’expertise locale du Québec, et dans ce cas de la communauté juridique du Québec. Il revient aux conseillers juridiques d’entreprise de poser leurs exigences à cet égard et je m’en suis toujours fait un devoir.
Si vous pouviez changer quelque chose à la pratique du droit, de quoi s’agirait-il?
J’aimerais que la pratique du droit soit plus proactive que réactive. De plus en plus, les entreprises au Québec font maintenant affaires non seulement au Québec mais au Canada et internationalement. J’aimerais que nos conseillers juridiques externes s’impliquent mieux en se familiarisant avec l’environnement global dans lequel se situent le dossier et l’entreprise de leur client. Les avocats externes sont excellents pour répondre aux questions précises de leurs clients, mais peu vont jusqu’à anticiper les besoins de leurs clients. Pour mieux illustrer mon propos, prenez l’exemple d’un bureau d’avocats qui représente des entreprises dans le domaine de l’énergie renouvelable : il devrait à mon avis se faire un point d’honneur de décortiquer un nouvel appel d’offres, sans attendre que l’un de ses clients lui donne un mandat pour le faire. Il m’apparaît en effet inopportun qu’un client fasse les frais de la prise de connaissance de l’appel d’offres par le cabinet dans un tel cas. Pour reprendre notre exemple, des restrictions imposées par un appel d’offres peuvent dans bien des cas avoir des répercussions importantes sur la structure d’une transaction. Le conseiller juridique d’entreprise est souvent celui qui doit en informer le cabinet externe, ce qui m’apparaît pourtant inacceptable. Je crois que les cabinets devront changer leur façon de faire, et assumer davantage les risques et les coûts qui bénéficieront ensuite à l’ensemble de leurs clients.
Et quels sont selon vous les changements à anticiper au cours des années à venir quant à l’exercice de la profession en entreprise et en cabinet?
Pour ce qui est de l’avenir, je crois que les contentieux vont continuer à se développer en quantité et en qualité. Les besoins externes vont se limiter davantage aux questions pointues et dossiers de grande envergure. Les cabinets ont un grand avantage, sur cet aspect, sur les contentieux. Ils voient en effet une grande variété de transactions et différentes visions d’entreprise, alors que l’avocat en entreprise ne voit que les transactions de sa propre entreprise.
Cependant, pour demeurer impliqués, les cabinets devraient transformer leur pratique en devenant aussi des entrepreneurs et des gens qui prennent certains risques avec leurs clients. Une entreprise participant à un appel d’offres pourrait par exemple s’adjoindre les services d’un bureau d’avocats qui accepterait d’être rémunéré sur la base d’un « success fee », comme d’ailleurs certains le font en litige. Le cabinet s’assurerait ainsi d’une relation continue pour la négociation des nombreux contrats qui suivraient ensuite lors de la phase de développement et de construction du projet. Je crois qu’il faut proposer des alternatives au modèle traditionnel, tout en maintenant le juste équilibre entre une implication plus grande et la nécessité pour un conseiller juridique externe de maintenir un recul suffisant pour bien conseiller son client en entreprise.
La perception du public envers la profession et les avocats en général est-elle plus positive, égale ou moins positive qu’elle ne l’était lors de vos débuts en pratique? Et pourquoi, à votre avis?
Difficile à dire… Je pense que, pour une certaine portion de la population, la profession d’avocat est encore perçue comme un monde à part et un monde élitiste. Je suis toujours surprise de constater à quel point notre profession est encore particulièrement connue par les litiges matrimoniaux, causes criminelles et enquêtes sur la corruption. L’avocat d’affaires demeure mal connu, sauf en ce qui concerne les scandales financiers!
Il nous revient de faire en sorte que notre profession demeure une profession « noble » et une profession qui soit au service des gens – et perçue comme telle. J’ai toujours vu mon rôle de conseiller juridique comme celui d’un chef d’orchestre, qui permet à un client ou à la direction de réaliser ses aspirations en toute connaissance de cause. C’est un rôle qui permet de seconder ses collègues à travers les dédales juridiques, l’évaluation du risque et la rédaction de documents qui reflètent le plus fidèlement possible les transactions. Il faut faire en sorte que les gens nous perçoivent, au contraire d’un ‘mal nécessaire’, comme de véritables partenaires.
Quel conseil donneriez-vous à quelqu’un débutant sa carrière?
Il faut, à mon avis, éviter de se spécialiser trop vite. Je crois en effet qu’il est essentiel d’avoir des réflexes juridiques dans plusieurs domaines du droit pour pratiquer, même si l’on pratique à terme dans un domaine bien précis. Pour moi, un avocat “complet”, qui performe bien, c’est un avocat qui n’a pas d’œillères quant au domaine de droit dans lequel il pratique. Il faut aussi accepter que l’expérience « s’acquiert » et que, plus on participe à des transactions ou dossiers de toute nature, plus on développe ses réflexes. Et ce sont ces mêmes réflexes qui permettent de savoir quand il faut aller plus en profondeur. Parce qu’avant d’avoir la bonne réponse, il faut savoir poser la bonne question.
En vrac…
• Dernier bon livre qu’elle a lu : « Ru » de Kim Thuy
• Son dernier bon film : « Intouchables » (Réalisateurs: Olivier Nakache et Eric Toledano)
• Elle adore casser la croûte au… Cap Vert (Rue McGill Collège)
• Elle aimerait aller : en Angleterre
• Si elle n’était pas avocate, elle serait… sans doute designer d’intérieur!! Avis à ceux qui ont besoin de conseils déco! À bien y penser, elle pourrait bien être aussi jardinière ou gestionnaire de projets!
Me Michèle Beauchamp pratique depuis plus de 25 ans et est active dans le domaine des énergies renouvelables depuis plus de 15 ans. Au début de sa carrière, elle a pratiqué au sein de la firme Desjardins Ducharme en financement bancaire, ses principaux clients étant des institutions financières. Elle a en outre participé à la révision majeure des documents de sûretés de certains de ses clients lors de la réforme du Code civil en 1994. En 1996, elle quitte la pratique privée pour devenir conseiller juridique auprès d’une compagnie de pâtes et papiers québécoise. Elle participe alors à la mise en place de plusieurs financements privés et publics sur les marchés canadien, américain et européen et à la création de la fiducie de revenu de la filiale d’énergie renouvelable. En 2004, Me Beauchamp se joint à l’équipe d’Innergex où, à titre de Vice-Présidente – Affaires juridiques et secrétaire corporatif, elle participe à l’acquisition et au financement de plusieurs projets de centrales hydroélectriques et de parcs éoliens. Au cours de sa carrière chez Innergex, Me Beauchamp a également géré plusieurs dossiers d’émissions publiques de la fiducie de revenu Innergex. Elle a participé à l’entrée en bourse d’Innergex et à son regroupement avec la fiducie de revenu Innergex en 2010. Depuis 2010, Me Beauchamp est en charge des dossiers légaux canadiens de RES Canada, une entreprise de développement et de construction de projets de conversion d’énergie renouvelable, filiale d’une entreprise de Grande-Bretagne.