Cette semaine, Dominique Tardif, de ZSA, s’entretient avec Nicole Chouinard, vice-présidente et chef des services juridiques chez IPEX.
Pourquoi avez-vous, à l’origine, décidé d’être avocate plutôt que de choisir une autre profession?
J’ai toujours, du plus loin que je me souvienne, eu un sens développé pour la justice. À l’école, j’intervenais déjà pour que les gens soient traités de façon juste et équitable!
Cependant, le droit n’a pas pour autant constitué une évidence pour moi. J’ai en effet hésité entre la comptabilité, le marketing, le journalisme et la possibilité de devenir enseignante au primaire. Le quotidien du travail de comptabilité que j’ai vu à l’époque m’a fait conclure que ce n’était pas pour moi.
Quant au marketing, j’avais l’impression que, pour pouvoir vendre et faire le développement d’un produit, il fallait voir les choses de la même façon que la majorité de son public cible. Or, j’avais souvent l’impression d’avoir une façon différente de voir les choses, ce qui m’a fait conclure que je n‘étais pas faite pour le métier.
La possibilité d’être enseignante, elle, m’a bien longtemps fait réfléchir…mais j’ai finalement opté pour le droit. Pourquoi? Parce que je savais qu’il s’agissait d’une bonne base qui pourrait me mener ailleurs si je le souhaitais, et que cela faisait appel à certains traits de personnalité et qualités que j’avais, comme le fait d’être structurée et d’avoir une approche logique et analytique des choses.
Quel est le plus grand défi professionnel auquel vous avez fait face au cours de votre carrière?
Plusieurs de mes dossiers ont été de beaux défis. Je pense notamment à l’un d’eux, très intense, sur lequel nous travaillions avec l’Europe: il s’agissait d’un défi d’endurance et d’un niveau de complexité élevé, qui m’a d’ailleurs fait voir tous les feux d’artifice de la fenêtre de mon bureau cet été-là, tellement j’y passais beaucoup de temps!
Mon plus grand défi, cependant, a été de faire le saut en entreprise chez Ipex. Non seulement cela constituait un défi comme il s’agissait d’une grande décision et d’un changement complet de type de travail et d’environnement par rapport à la pratique privée, mais j’avais en plus pour tâche de mettre sur pied un département juridique qui n’existait pas encore. Si la direction était prête pour cela, il n’en demeure pas moins que c’était autre chose que de le vivre au quotidien.
Il était très important pour moi de faire voir la valeur ajoutée des services juridiques à chacun des échelons de l’entreprise, de façon à faire en sorte que les gens acceptent cette nouvelle étape dans le processus décisionnel.
L’objectif était de protéger l’entreprise de certains risques, mais sans pour autant alourdir le processus et causer trop de contraintes quant à l’atteinte des objectifs d’affaires. C’est tout un défi, particulièrement dans une entreprise aussi entrepreneuriale que la nôtre. Pour réussir, il fallait savoir faire preuve de tact, avoir continuellement ce concept de valeur ajoutée en tête et obtenir comme c’était mon cas, l’appui de la haute direction.
Si vous aviez une baguette magique, que changeriez-vous à la pratique du droit?
Je changerais certainement le processus de e-discovery, qui est plus fréquent au Canada anglais et aux États-Unis qu’ici, avec pour objectif de le simplifier. Le traitement d’un dossier peut, en effet, devenir excessivement lourd, avec littéralement une tonne de courriels et une preuve considérable à analyser – bien que pas toujours pertinente.
Après la collecte des informations à l’interne, s’ensuivent les interrogatoires, etc. etc. C’est une véritable industrie aux États-Unis, et la conséquence en est que les dossiers de litige n’en finissent plus et impliquent des frais exorbitants. L’accès à la justice, qui est pour moi important depuis toujours, en souffre malheureusement.
La perception du public envers la profession et les avocats en général est-elle plus positive, égale ou moins positive qu’elle ne l’était lors de vos débuts en pratique? Et pourquoi, à votre avis?
Je pense que la perception est plus positive qu’elle ne l’était avant. Les avocats d’entreprise et de cabinet sont en effet devenus de meilleurs conseillers d’affaires avec le temps. On apprécie de plus en plus leur capacité à identifier les risques et leur approche globale des enjeux et problèmes.
Il est selon moi important d’aller au-delà de ce qui est strictement juridique et d’être le plus près possible des besoins du client… même si les frais qui sont ensuite chargés au client peuvent parfois les inciter à diminuer le recours aux services des avocats de pratique privée, d’où la croissance des départements juridiques internes.
Quel conseil donneriez-vous à quelqu’un débutant sa carrière et désirant réussir dans le milieu juridique?
D’abord, un incontournable: il faut être parfaitement bilingue, tant à l’oral qu’à l’écrit.
Le fait d’avoir des connaissances générales en finances et de pouvoir lire et comprendre des états financiers est quant à lui un grand atout, peu importe qu’on travaille en affaires ou en litige: cela permet de comprendre les rouages d’une entreprise. Dans le même sens, il ne faut pas hésiter à obtenir une autre formation universitaire avant de faire le droit. Ce sont certainement des années bien investies.
Une fois en pratique, je crois qu’il faut toujours rester ouvert aux opportunités et savoir s’y ajuster. Je vous recommande, d’ailleurs, d’écouter le discours qu’a donné Steve Jobs lors de la collation des grades de Stanford en 2005. C’est très inspirant. Il y dit notamment que ‘at some point, you will connect the dots’… et c’est vrai! Un jour, vous mettrez ensemble tout ce que vous aurez appris.
J’ai pour ma part commencé en litige, puis ensuite fait du droit commercial, tout en m’occupant à un certain moment du groupe de parajuristes du cabinet. Je suis restée ouverte aux opportunités et aujourd’hui tous ces apprentissages me sont extrêmement utiles en entreprise.
Finalement, restez passionné, parce qu’on «n’a rien sans rien» et qu’en y mettant de l’énergie, on obtient des résultats!
En vrac…
• Le dernier bon livre qu’elle a lu – N’oublie jamais (auteur: Grégory Charles)
• Le dernier bon film qu’elle a vu – Intouchables (réalisateurs: Éric Toledano et Olivier Nakache)
• Sa chanson fétiche – Dégénérations (Mes Aïeux).
• Une expression que ses enfants l’entendent souvent dire : ‘Ce n’est pas fini tant que ce n’est pas fini!’
• Son péché mignon – sans hésitation, le chocolat!
• Elle aime la cuisine….de sa belle-sœur, qui concocte de succulents soupers au chalet et dont le talent se compare à la plupart des grands chefs de Montréal!
• Un pays qu’elle adore – Le Costa Rica, encore et encore
• Le personnage historique qu’elle admire le plus – Thérèse Casgrain, une humaniste qui s’est battue pour les droits et qui a obtenu le droit de vote pour les femmes au Québec
• Si elle n’était pas avocate, elle serait… journaliste ou encore enseignante au primaire, parce qu’elle adore les enfants!
Me Nicole Chouinard est Vice-présidente & Chef des services juridiques chez IPEXdepuis 2011. Elle a mis sur pied le département des services juridiques et est responsable des services juridiques rendus aux sociétés du Groupe d’entreprises IPEX, en plus de conseiller l’équipe de direction sur une base quotidienne.
Son équipe prépare, supervise et négocie les ententes contractuelles avec les clients et fournisseurs, de même que la documentation concernant les acquisitions, les partenariats, etc. Elle supervise et assure le suivi de tout dossier de litige et est responsable de la documentation corporative des différentes sociétés membres du Groupe. Au niveau de la propriété intellectuelle, l’équipe coordonne, prépare et négocie les conventions de licence et autres ententes relatives à la propriété intellectuelle et supervise la signature des ententes de confidentialité. Me Chouinard est aussi responsable de la rédaction de politiques ou lignes directrices dans les matières susmentionnées. Finalement, sur le plan des assurances, Me Chouinard est responsable de la négociation des renouvellements des polices d’assurance biens et responsabilité civile, de même que de la gestion et du suivi auprès des assureurs au sujet des réclamations.
Avant de joindre Ipex, Me Chouinard a travaillé, pendant près de dix ans, comme associée en droit des affaires chez Miller Thomson. Elle a avant cette date été Vice-présidente, affaires juridiques et Secrétaire corporative de Corporation Datacom Wireless. Elle a auparavant pratiqué comme associée chez Pouliot Mercure en droit des affaires, de même que chez Guy & Gilbert en litige.
Me Chouinard est membre du Barreau du Québec depuis 1986 et a obtenu son diplôme en droit civil et common law à l’Université d’Ottawa. Elle est membre de l’ACC (Association of Corporate Counsel), de l’Association du Barreau Canadien et de l’Association canadienne des conseillers juridiques en entreprise. Au cours de sa carrière, elle a donné plusieurs conférences et participé à plusieurs publications.